Ces grands ouvrages, comparés au corps humain, semblent
solides: considérés selon les lois de cette nature qui détruit,
qui rappelle toutes choses au néant dont elle les a tirées,
ils sont bien frêles. Comment rien d'immortel eût-il pu sortir
de nos mortelles mains ? Les sept fameuses merveilles du
monde, et ce qu'a pu bâtir de plus prodigieux encore la vanité
des âges suivants, tout cela un jour on le verra couché au niveau
du sol. Oui, rien n'est fait pour durer toujours, presque
rien pour durer longtemps; chaque chose a son côté fragile, et
si le mode de destruction varie, au demeurant tout ce qui
commence doit finir.
L'univers aussi, selon quelques-uns, est
condamné à périr; et ce bel ensemble qui embrasse tout ce
qui est dieu comme tout ce qui est homme, un jour, s'il est
permis de le croire, un jour fatal le viendra dissoudre et replonger
dans la nuit du premier chaos. Osons maintenant nous
lamenter sur des morts individuelles ; osons gémir sur la cendre
de Carthage, de Numance, de Corinthe, de toute ville précipitée
encore de plus haut, s'il se peut, quand l'univers, qui
n'a pas où tomber, doit périr comme elles ! Osons nous plaindre
que les destins, qui consommeront cette ruine dont la pensée
fait frémir, ne nous aient pas seuls épargnés!
Quel être assez superbe, assez effréné dans ses prétentions,
voudrait, sous l'empire de cette loi de la nature, qui ramène
tout à la même fin, qu'il y eût exception pour lui et les
siens, et que dans l'inévitable naufrage du grand tout une
seule famille fût sauvée?
C'est donc une puissante consolation
de songer qu'il ne nous arrive que ce qu'ont souffert avant nous,
et ce que souffriront après nous tous les hommes; et la nature,
ce me semble, en rendant général le plus cruel de ses maux,
a voulu que son universalité en adoucît la rigueur.